Bréviaire du Chaos - par Johann Cariou


... nous fûmes théophages et nous serons anthropophages... Ce que nous devenons. Caraco déroule, sentencieux, son enseignement impitoyable d'une écriture impeccable. Né en 1919 à Constantinople de parents juifs levantins, Caraco se suicidera le lendemain de la mort de son père, en 1972. Caraco avait programmé sa mort volontaire, cependant, considérant ses parents et au vu du désastre de 39-45, il retarda son échéance, noircissant ses cahiers d'imprécations implacables. Caraco demeure encore peu connu, ses lecteurs sont rares et pourtant il mérite une attention prononcée, aussi de sortir des cercles clos de l'érudition glacée. En ce sens, le Bréviaire du Chaos est un angle d'attaque (de l'oeuvre) idéal : concentré, bref, inspiré, terroriste, sévère, visionnaire, sombre, secret, parfois suffisant. Climatiquement continental, le Bréviaire claque, fouette, propulse, comme un vent force sept, tout en dévoilant, au fur et à mesure des lectures, ses strates, ses condensations, ses sous-couches telluriques.

Moraliste overdosé des géologies humaines, Caraco prophétise la fin des temps et la totale tabula rasa, ne laissant aucune issue sinon la Magna mater et le retour à la source. Caraco est obsessionnel, sans cesse il revient, stratégie de l'eternel retour, il reprend, furieux, cadencé, martial, il ressasse, le chaos, la fatalité, le principe féminin, le danger d'engendrer. Il désigne, la masse de perdition, les hommes devenus insectes, le Ciel vide ; il stigmatise, la contemplation du social, l'esprit de dissolution. A quoi bon nous leurrer ? Nous deviendrons atroces. A ses récurrences, Caraco associe une écriture dense et classique, il encercle, il lapide, il lynche, balançant un rythme réglier, militaire, totalitaire, harcelant l'esprit. Sûr de lui, Caraco frappe, en vérité nous sommes tous les conformistes de nos lendemains - dans la gueule ! - il détrompe, la mutation de l'homme (n'est] qu'une chimère ; il rappelle, car la rançon de nos vertus n'aura jamais été que l'holocauste ; il pose et oppose, ainsi l'Enfer, loin d'être le néant, est la présence. Ainsi écrit Albert Caraco dans les sphères de l'intégralité ce Bréviaire du Chaos, livre dangereux et magnétique, beau.



Johann CARIOU

Texte publié dans Cancer! (N° 3 - avril 2001)

© Johann Cariou